La mort des formations.

Guillaume Dechambenoit
5 min readNov 2, 2020

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La crise sanitaire nous a permis d’observer un switch dans les modes de formation : du présentiel au distantiel. Nous observons une ruée vers les plateformes d’e-learning existantes et les start-up qui travaillaient sur ce type de produit ont réalisé de belles levées de fonds. Il est bien sûr important d’assurer la montée en compétences de nos collaborateurs donc si on ne plus le faire en physique, autant le faire à distance, car la technologie nous le permet. Nous l’avons aussi fait, nos conférences et ateliers sont maintenant disponibles à distance et nous avons travaillé notre architecture digitale pour assurer au mieux ce service, mais à chaque fois que nous intervenons, il y a quelque chose de dissonant…

Est-ce que nous ne serions pas en train de faire fausse route ? Et s’il fallait profiter de cette période pour aller plus loin que transférer tel quel, d’un format à un autre, nos contenus ? Et si nous pouvions repenser les modes d’apprentissages et les montées en compétences en entreprise ?

Cela fait quelques temps que nous gardions cette réflexion en toile de fond afin d’imaginer des modes optimisés d’apprentissages au sein des organisations. Pour cela nous sommes revenus à nos bases, les sciences cognitives et la sociologie des organisations et avons dressé quelques principes assez simples :

  • Le cerveau est une machine sensorielle qui apprend par expérience. En fait, si le cerveau devait avoir un format de fichier c’est un. xp. C’est la seule chose qui l’intéresse et qu’il stocke. Une expérience est un peu comme un algorithme qui se sert d’informations sensorielles comme données d’entrées et produit une série d’actions comme signal de sortie. En pédagogie, on parle donc de deux types de connaissances. Les connaissances basées sur le transfert sont juste des informations sensorielles qui rentrent dans nos matrices neuronales, par exemple une capsule vidéo ou apprendre par cœur quelque chose, c’est ce que nous appelons des connaissances « descendantes » ou « passives ». Ce type de connaissance est qualifiée de léger, il est très vite oublié et peu adaptable sur du long terme. Plus les informations sensorielles sont riches, plus les actions sont multiples, plus l’expérience sera forte et plus impactant sera l’apprentissage dans la durée et surtout dans l’adaptabilité à d’autres situations. Nous parlons dans ce second cas de connaissances basées sur l’expérience. Contrairement à ce que nous pouvons le penser, un ordinateur est qualifié d’environnement « pauvre », car pauvre en informations sensorielles, souvent limité à la vue et au son et à un touché sur un clavier. Debout ou assis, l’ordinateur nous force en plus à être statiques, ce qui limite encore plus la richesse de l’expérience. Nous ne pourrons jamais remplacer la richesse de l’environnement physique et sensoriel riche en expériences et donc en apprentissages que nous appelons « le lieu de travail ». Il est donc compliqué de remplacer l’intégralité d’un programme de formation par du 100 % digital, en tout cas, pas dans sa forme actuelle.
  • On ne peut pas changer seul. Changer les habitudes d’une seule personne est compliqué, donc changer les habitudes d’une équipe voir d’une direction totale peut s’avérer parfois impossible. Si une personne fait une formation, aussi interactive et riche soit-elle, elle aura toujours du mal à changer son ou ses équipes. Si elle est la seule à changer, la facilité des vieilles habitudes, aussi frustrantes soit-elles, la ramènera rapidement à « ce qui se faisait avant ». Elle se fera phagocytée par son environnement. Un apprentissage se doit d’être collectif dans les organisations, nous apprenons ensemble ou nous n’apprenons pas du tout. C’est pour cela que tout projet de montée en compétence doit être collectif et non individuel. D’ailleurs, si vous voulez optimiser votre organisation d’un point de vue de management, nous vous suggérons de former les non-managers au style de management que vous voulez mettre en place. Inutile parce que ce ne sont pas eux les managers ? Oui, mais non. D’abord parce que chacun doit être manager de ses propres tâches, mais surtout, car ce sont eux qui vont recevoir le management. Au final, cette formation aura beaucoup plus d’impact sur eux que sur le manager lui-même. Les former aux mêmes approches leur permettront de mieux comprendre le comportement du manager et donc de l’accompagner dans la mise en place de ces nouvelles approches.
  • Le projet est le générateur d’expériences (et donc de connaissances) au sein des entreprises. Au même titre qu’un individu, c’est dans les gènes d’une organisation d’être apprenante, elle enchaîne naturellement des échecs et des succès collectifs. Cet apprentissage, elle le fait à travers des actions. En entreprise, ces actions sont connues sous le nom de projet. Les projets et surtout le passé des projets représentent donc les expériences de l’entreprise. Aujourd’hui, à tort, les projets ne sont ni vus ni conçus comme des terrains d’apprentissage et donc peu d’efforts sont mis sur « la mémoire et le partage des expériences ». C’est comme si vous oubliez chaque action effectuée, vous tournez en rond et refaites tout le temps les mêmes erreurs. Dans les organisations d’aujourd’hui, d’un côté nous apprenons via de la formation et de l’autre nous faisons via le projet. Et c’est ce qu’il se passe dans la réalité : « Ah non, Guillaume n’est pas disponible sur ce projet, car il est en formation, il va falloir faire sans lui. » Cette dichotomie entrave et ralentit la vie opérationnelle des entreprises. La réalité est que nous faisons les deux en même temps, nous apprenons en faisant, il doit donc en être de même pour les organisations. Comme toujours, c’est ce besoin de « séparer » les choses qui génère ce que nous appelons une amnésie organisationnelle, une entreprise qui oublie et donc qui n’apprend pas.

Au final si vous intégrez ces 3 paramètres ensemble, vous avez le parfait mode de formation de demain : la création d’une armature pédagogique autour des projets de l’organisation. Il n’y aura jamais meilleur laboratoire d’apprentissage que l’entreprise en elle-même, c’est pour cela qu’on ne doit pas « former » des collaboratrices/eurs mais plutôt leur concevoir l’environnement pédagogique pour qu’elles/ils puissent apprendre par paire (avec les autres) et par expérience (par l’action). En théorie, vous n’avez donc plus besoin de commander des formations mais d’utiliser la vie opérationnelle de l’entreprise pour permettre à vos collaborateurs d’apprendre.

Vous voulez que quelqu’un apprenne à être manager ou une compétence spécifique technique ? Donnez-lui le lead ou la tâche sur un projet d’apprentissage et mettez en place un accompagnement pédagogique autour de l’intégralité de l’équipe d’apprenants pour les accompagner dans ces nouvelles expériences et une montée en compétence collective.

La cerise sur le gâteau ? En plus d’économiser et de mutualiser des ressources (économiques et humaines) et d’optimiser les capacités d’adaptation des équipes, ce type hybride d’apprentissage par paire et par expérience permet en plus de valoriser chaque individu au sein de la société et donc d’augmenter leur niveau d’engagement dans l’entreprise.

La formation telle que nous la connaissions est morte au profit d’une forme d’accompagnement continu. Le futur de cet accompagnement ne semble donc pas résider dans la digitalisation de leçons, de contenus ou d’ateliers, mais bien dans ce mode de conception pédagogique particulier plus connu sous le nom d’expérientiel : la conception d’environnements et d’accompagnements pédagogiques autour des projets de l’entreprise.

Nous en avons fait notre spécialité.

Guillaume Dechambenoit — Lead @agence-iro

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Written by Guillaume Dechambenoit

Thinker, designer and consultant specialized in applied cognitive science, art and technology. Consultant @ Kanyon Consulting

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